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Charles LE BRUN (Paris 1619 - Paris 1690) et Gaspard DUGHET (Rome 1613 - Rome 1675)

Allégorie du Tibre


Huile sur toile
74x95,5 cm
Exécuté vers 1645
Provenance:
Peut-être peint pour le chancelier Séguier; collection du graveur Jacques Rousselet (1610-1686), dont l'inventaire après décès mentionne une Allégorie du Tibre par Le Brun; collection de Jacques Prou, domicilié à l’Hôtel royal des Gobelins "...un tableau de monsieur Le Brun représentant un fleuve et le paysage de Gaspre prisé cent livres avec sa bordure de bois doré... », 1706; collection d'Abel, ministre des villes anséatiques à Paris en 1824; collection privée, Stuttgart.
Littérature ::
Nivelon, "Vie de M. Charles Le Brun et Description détaillée de ses ouvrages", vers 1700, Paris, p.23 ; Description des Tableaux qui composent le cabinet de Mr d'Abel, ministre des villes anséatiques, 1824, p.77, n°166, comme Nicolas Poussin, Allégorie sur la grandeur future de la ville de Rome, décrit comme de Nicolas Poussin sous le numéro 166 «Le Tibre, figuré d’après la fameuse statue de ce fleuve qui est au Muséum de Paris, est assis sur le premier plan, appuyant la main droite sur l’urne d’où coulent ses eaux, et le pied gauche posé sur la louve, qui allaite Romulus et Remus. Au second plan, on voit la Renommée qui dort encore, et Minerve qui est éveillée. Le fond est un beau paysage»; E.Miller, Manuscrit de Claude Nivelon sur Le Brun, Gazette des Beaux-Arts, XV, 2 (1863), p.203; H.Jouin, Charles Le Brun et les arts sous Louis XIV, Paris 1889, p. 52,54 et 515 ; J.Thuillier, catalogue de l'exposition de Versailles, 1963, p. XXXVI, 15 comme perdu.


Les raisons du voyage en Italie de Charles Le Brun demeurent à ce jour incertaines : rivalité avec son maître Simon Vouet, qui domine alors la scène parisienne, volonté du chancelier Séguier d’obtenir des copies d’œuvres italiennes, ou désir du jeune artiste, déjà maître d’un style vigoureux et lyrique, d’aller, à l’image de Poussin, puiser à la source l’inspiration des grands modèles de la Renaissance et de l’Antiquité.

C’est précisément Nicolas Poussin qui, aux dires de Nivelon, lui témoigne, « une bienveillance particulière », que Le Brun retrouve à Lyon pour arriver à Rome le 5 novembre 1642. Il y retrouve François Perrier, son ancien maître, et se lie d’amitié avec Gaspard Dughet, de 4 ans son aîné.

On a, grâce à Nivelon et à Florent Le Comte (dans son Cabinet des singularités d’architecture, peinture, sculpture, gravure, Paris, 1699), une liste, peut-être partielle, mais déjà riche d’une dizaine de numéros, des tableaux exécutés par Le Brun à Rome au cours des 3 années pleines de son séjour.

Plusieurs œuvres directement comparables à notre Allégorie du Tibre y figurent : Horatius Cocles (Dulwich College), La déification d’Enée (Musée de Montréal), Mucius Scaevola (Musée de Macon).

Nivelon précise que « Le Brun fit un tableau d’étude du fleuve du Tibre dans le même goût fier de Mr Le Poussin et dont Le Gaspre voulut par amitié peindre le paysage ». L’idée séduisante d’un hommage du jeune Le Brun à son aîné semble s’imposer. Après avoir subi, pour certains de ses chefs-d’œuvre parisiens, l’influence déterminante de Vouet (comme il se rapprochera des caravagesques pour son Caton du musée d’Arras), Le Brun, artiste à facettes s’il en est, se rapproche ici de la sensibilité élégiaque de Poussin.

La belle palette froide et mesurée du tableau, la pose alanguie du Tibre, son expression mélancolique, la figure assoupie du génie de Rome en témoignent avec une évidence certaine.
L’éclairage dramatique du paysage, avec de violents accents lumineux pointant à l’horizon, et un ciel d’orage aux teintes sourdes d’ardoise, correspond bien aux œuvres de la première manière de Dughet. De même, le traitement du premier plan, où l’eau s’écoule de la vasque sur une terre aux accents ocres, brossée d’un pinceau rapide et spontané, est bien typique du Guaspre. M.N. Boisclair relève le caractère exceptionnel de ce type de collaboration dans l’œuvre de Dughet : « Chose certaine…scène de la composition ».

Une autre version de notre composition, de dimensions sensiblement plus réduites (53 x 64 cm), d’un coloris plus clair et plus chaud, réapparue dans une vente à l’Hôtel Drouot en 1944, est actuellement conservée au musée de Beauvais. Le dessin plus retenu de la figure du Tibre et le traitement moins sensible du paysage au premier plan nous incitent à y voir une réplique plus tardive, peut-être élaborée dans l’atelier du maître après son retour en France.


Allégorie du Tibre

Charles LE BRUN (Paris 1619 - Paris 1690) et Gaspard DUGHET (Rome 1613 - Rome 1675)